Analyse economique Q1 2023
Volatilité sur un trimestre en deux actes
Analyse économique - Avril 2023
Après une année 2022 très volatile, 2023 a débuté sur une note assez positive en raison de trois éléments favorables. Tout d’abord, le climat des affaires s’est rapidement amélioré en Europe car les pires scénarios liés à la crise énergétique ont été évités. En effet, voilà quelques mois que les attentes de croissance y sont revues à la hausse et que les craintes de récession sont différées. Ensuite, la Chine a enfin réouvert son économie après des mois interminables de confinement. Inévitablement, les attentes de croissance s’en sont vues redressées, à la fois en Chine et dans l’ensemble de l’Asie Pacifique, mais également en Europe.
Enfin, le processus de désinflation qui s’est progressivement installé a constitué le dernier élément propice à redonner le sourire aux marchés ; certes, ce processus est survenu à différents rythmes selon la région et la mesure, mais il semble se confirmer. En effet, le pic d’inflation faisant désormais partie du passé, les chiffres annuels sont dans une phase de modération. Bien entendu, nous verrons plus loin pourquoi cela ne suffit pas encore, mais la trajectoire est la bonne.
Zone euro : inflation annuelle
Si ces éléments positifs viennent atténuer les risques de récession plantés au cœur du débat depuis plusieurs mois, il semble pour autant opportun de garder à l’esprit que nous traversons une période de resserrement monétaire très agressive par rapport aux campagnes de hausses de taux précédentes.
D’ailleurs, cet état de fait a débouché sur un accident financier aux États-Unis, en témoignent les faillites de Silicon Valley Bank et Signature Bank, et en Europe, sur le rachat en urgence de Credit Suisse par UBS. Sans conteste, nous reconnaissons que ces écueils sont extrêmement difficiles à prévoir. Pourtant, la probabilité qu’ils surviennent se renforce dès lors où se conjuguent croissance économique faible et resserrement monétaire agressif.
Dans l’ensemble, nous pouvons scinder le trimestre en deux parties. Une première lors de laquelle l’ensemble des analystes et des acteurs de marchés ont commencé à croire de plus en plus à la possibilité d’un soft landing : un scénario où il serait possible de réduire l’inflation sans faire tomber l’économie en récession. Or, les faillites bancaires observées aux États-Unis ont amené nombre d’analystes à craindre un copieux resserrement du crédit, lequel pourrait constituer l’élément déclencheur à la bascule de l’économie dans la récession.
Une croissance qui tient à court terme
Deux types d’indicateurs permettent d’analyser l’économie mondiale: d’une part, les indicateurs précurseurs (qui fournissent à l’avance une idée de l’état futur de l’économie) et d’autre part, les indicateurs coïncidents, lesquels informent de l’état actuel des choses.
Actuellement, nous observons une certaine dichotomie entre ces deux types d’indicateurs. Dans le court terme, ils montrent qu’il existe encore de la résilience dans l’emploi et les revenus des ménages. En effet, le marché du travail continue de soutenir la croissance, le taux de chômage étant historiquement faible et la croissance des salaires étant toujours d’actualité (quoiqu’à un rythme plus faible qu’en 2022). Aussi, l’inflation qui se retourne, notamment sur les prix de l’énergie, devient un atout pour l’employé qui voit ainsi son salaire s’améliorer en termes réels.
L’autre élément porteur demeure l’épargne « excédentaire » dont disposeraient les ménages grâce aux politiques de soutien liées à la pandémie. Cet argument s’est révélé extrêmement valide en 2021 et 2022 pour expliquer la puissante hausse de la consommation. Aujourd’hui, l’argument reste valide à court terme mais devient plus discutable. En effet, l’épargne excédentaire se concentre principalement auprès des ménages les plus aisés. Or, ceux-ci sont connus pour leur propension marginale à consommer inférieure à la moyenne, ce qui signifie que cette épargne ne devrait pas forcément nourrir la consommation.
Sans pour autant être alarmiste, le consommateur, notamment américain, commence à ressentir le poids du coût de la vie et de la remontée des taux. Nous constatons que les retards de paiement s’allongent, le recours au crédit augmente significativement, mais surtout, la consommation réelle commence à reculer.
Des indicateurs précurseurs toujours orientés à la baisse
Les indicateurs précurseurs, quant à eux, sont généralement en territoire de contraction, notamment aux États-Unis. Les signes avant-coureurs de l’emploi, de l’immobilier et les ISM sont en contraction. Si l’histoire se répète, il ne serait pas vraiment surprenant que s’installe une récession.
L’autre indicateur classique, qui pointe également vers une récession, est la courbe des taux. En effet, si les taux courts sont supérieurs aux taux longs, cela présage des perspectives économiques détériorées. On appelle cela l’inversion de la courbe car une courbe des taux normale présente des taux courts plus faibles que les taux longs. Or, l’inversion actuelle s’avère historiquement chargée de sens, et si l’on s’en remet à l’histoire, cela devrait se solder par une récession.
Des craintes sur le secteur bancaire
Les inquiétudes que génèrent les banques régionales américaines après les faillites de Silicon Valley Bank et Signature Bank renforcent les craintes de récession. En effet, les banques régionales sont responsables de près de 40% des prêts accordés aux États-Unis, et se veulent extrêmement présentes sur l’immobilier commercial. L’épisode de stress qui vient de survenir pourrait impliquer davantage de resserrement des conditions de prêt, ce qui couperait l’irrigation de l’économie par le canal du crédit, freinerait la croissance et augmenterait les risques de récession.
Une croissance globale en-dessous du potentiel Indicateur composite avancé OCDE
Une problématique d’inflation non résolue
En 2022, l’inflation était sans doute le sujet numéro 1. Aujourd’hui, la problématique du coût de la vie reste d’actualité, mais les chocs d’inflation liés au choc pétrolier sont de l’histoire ancienne. Actuellement, c’est une inflation core ou sous-jacente, de laquelle on soustrait les éléments les plus volatiles tels que l’énergie et l’alimentation. L’inflation se résume à présent à une question de services très dépendants des salaires, lesquels continuent de grimper. À titre d’exemple, l’inflation annuelle en zone euro est passée de plus de 10% en octobre 2022 à 7% en mars, mais la partie sous-jacente (excluant l’énergie et l’alimentation) a grimpé de 5% à 5,7% en termes annuels sur la même période.
De part et d’autre de l’Atlantique, l’inflation s’inscrit généralement en baisse, ce qui ne signifie pas que les prix diminuent ; cela signifie en revanche que la croissance des prix est plus faible.
Une accalmie sur le dollar
Un des aspects marquants de l’année 2022 réside dans la montée fulgurante du dollar, alors nourrie par deux mouvements : un relèvement des taux plus rapide aux États-Unis, et une balance commerciale américaine nettement améliorée avec la hausse du prix du pétrole. Traditionnellement, il est admis qu’il existe une corrélation négative entre le pétrole et le dollar, argument valable dans le cas qui nous intéresse. Actuellement, les États-Unis étant un exportateur de pétrole majeur, la corrélation entre dollar et pétrole est devenue positive. C’est pourquoi, l’euro-dollar a touché la parité au paroxysme du dollar. À présent, le différentiel de taux entre l’Europe et les États-Unis s’étant refermé en faveur des taux européens, et l’évolution du prix du baril s’étant calmée, l’euro a pu regagner du terrain pour revenir vers 1,10.
Les marchés
Lors de ce premier trimestre, les marchés ont également connu deux phases. La première était porteuse et nourrie par des espoirs de soft landing. En effet, les chiffres annuels d’inflation étant orientés vers le bas et les chiffres de croissance toujours résilients, les investisseurs ont commencé à entrevoir une inflation fléchissante sans qu’elle n’inflige de véritable douleur. Lors de cette première étape, qui a duré jusqu’aux faillites bancaires aux États-Unis, les marchés actions ont grimpé main dans la main avec les taux car une économie plus résiliente laissait présager une politique monétaire restrictive plus longtemps.
Comme nous l’avons indiqué dans notre analyse économique, l’enthousiasme de ce début d’année se nourrissait non seulement des espoirs de soft landing, mais également d’une économie européenne qui réaccélère sur base d’une crise énergétique évitée, ainsi que de la réouverture de la Chine qui a redonné des couleurs aux perspectives de croissance, surtout dans les pays émergents.
Début mars, les marchés financiers ont été secoués par les ruées vers les retraits chez Silicon Valley Bank et Signature Bank. Ainsi, ces deux banques ont dû faire faillite, propageant le doute à travers le reste du secteur.
La remontée des taux est tenue responsable de ces troubles, car SVB s’est vue contrainte de vendre à perte des obligations qu’elle détenait en vue de répondre aux demandes de retrait. La vente s’est réalisée à perte car la remontée des taux a poussé les prix des obligations à la baisse.
Généralement, il est admis que les banques centrales relèvent leurs taux trop agressivement pour lutter contre l’inflation et finissent par « casser quelque chose », qu’il s’agisse du système financier et/ou de l’économie.
Une prime de risque actions en faveur de l'Europe
Beaucoup d’analystes ont vu cet événement sous cet angle, mais les marchés se sont progressivement repris sur la deuxième partie du mois de mars. Cette évolution rapide de la situation s’explique surtout par le fait que le système bancaire est perçu comme étant plus solide qu’en 2008, et par le fait que les autorités financières ont rapidement apporté des solutions solides et concrètes à la suite des récentes faillites, ce qui a largement calmé les esprits.
C’est sans surprise que la volatilité a marqué les marchés : nous nous retrouvons plongés dans un environnement à risque, caractérisé par une croissance faible, des taux élevés et une inflation rigide. Cela étant, le dollar s’est révélé un élément positif pour le risque, puisqu’il s’est calmé après avoir touché les sommets connus l’an dernier, main dans la main avec le pétrole.
À l’issue de la période, les marchés actions globaux ont tout de même rapporté plus de 5% aux investisseurs.
Aykut Efe
Economist & Strategist
Spuerkeess Asset Management