Passer directement au contenu principal
Thorunn Egilsdottir
Corporate Communication Manager
31 décembre 2022

Qu’est-ce que le bonheur et comment être heureux dans le monde moderne ?

Nous vivons dans un monde digital au rythme effréné. Où que nous allions, nous sommes joignables en permanence grâce à nos smartphones. Peut-on être heureux tout en étant constamment stressé ? Nous avons posé la question à Roger Fernandez Urbano, docteur en sciences politiques et sociales au European University Institute, PhD et chercheur spécialisé dans la question du bonheur et des inégalités, qui nous a donné cinq conseils pour être plus heureux.

1. L’argent rend-il heureux ?

En 1974, Richard Easterlin découvre que, même si les personnes (ou les pays) qui ont des revenus plus élevés sont mieux classés que les personnes (ou les pays) à faible revenu sur l’échelle du bonheur, à un certain stade, le bonheur moyen finit par plafonner au-delà d’un certain seuil de richesse. On parle de « paradoxe d’Easterlin ». Ce paradoxe s’expliquerait par les longues heures de travail qui vont de pair avec des revenus plus élevés, les écarts entre les niveaux de revenus relatifs des individus ou l’écart en termes de revenus entre ceux d’un individu et un référentiel qui sert de norme de comparaison.

Quel est le seuil exact ? Eh bien, les débats à ce sujet sont nombreux et se poursuivent. Les lauréats du prix Nobel, Daniel Kahneman et Angus Deaton ont ainsi par exemple réalisé une étude importante en 2010. Les auteurs constatent, qu’à un moment donné, la corrélation entre revenus et bien-être subjectif augmente régulièrement sans point de saturation aux États-Unis lorsque le bonheur est compris comme la satisfaction de la vie. Néanmoins, lorsque les auteurs capturent le bonheur avec une mesure hédonique et expérientielle (c'est-à-dire la qualité émotionnelle de la vie quotidienne d'un individu),, le bonheur n’augmente avec le revenu que jusqu’à un revenu annuel de 75 000 dollars. En d’autres termes, avoir plus d’argent permet d’« acheter » plus de moments mémorables et extraordinaires, mais lorsqu’il s’agit de bonheur quotidien, gagner plus de 75 000 dollars n’est pas bon pour nous car cela implique généralement de nombreux sacrifices.

En parlant de lauréats du prix Nobel, le professeur Richard Easterlin a obtenu cette année le statut de « chercheur prix Nobel » avec le professeur Richard Layard et le professeur Andrew Oswald pour leurs contributions novatrices à la recherche sur l’économie du bonheur.

2. Contentement ou joie intense - quelle est la véritable signification du terme bonheur ? Qu’est-ce qui nous rend véritablement heureux ?

Tout d’abord, je dirais que le « bonheur » est un terme marketing et qu’il est pratiquement impossible d’être heureux « à plein temps », qu’il s’agisse du bonheur dans sa version hédoniste (joie intense) ou évaluative (satisfaction). Ce que nous devons chercher à optimiser, c’est notre bien-être subjectif, même si les chercheurs utilisent souvent tous ces termes de manière interchangeable.

Nous devons ensuite également faire la différence entre les composantes et les déterminants du bien-être subjectif. Selon la psychologie positive, ces composantes se retrouvent dans cinq grands domaines qui peuvent se décliner en autant de conseils pour être heureux :

1) travailler pour connaître des sources d’émotions positives ;

2) essayer de trouver autant de moments de flux que possible dans les différentes activités réalisées au cours de la journée ;

3) cultiver des relations qui ont un sens avec ceux qui nous entourent ;

4) essayer de faire une pause et de réfléchir au sens et au but de sa vie ; et

5) célébrer chacune de ses réalisations, depuis la plus petite. 

Pour ce qui est des déterminants du bonheur, les recherches empiriques ont montré que le déterminant le plus important, outre le revenu, est le fait d’avoir un emploi stable. Selon la théorie de privation de Jahonda (1982), occuper un emploi stable remplit différentes fonctions psychologiques positives : existence d’une structure temporelle, établissement de contacts sociaux, participation à la réalisation d’un objectif collectif, statut et identité et activité régulière obligatoire.

Il est également intéressant de noter que, bien que la valeur du travail pour les individus soit restée stable au fil du temps, les travailleurs accordent de plus en plus d’importance aux aspects « sociaux » du travail, tels que la valeur réelle que leur emploi apporte à la société. Être sans emploi, gravement malade ou handicapé, vivre dans une dictature ou connaître de grandes inégalités de revenus sont pour leur part les facteurs qui nuisent le plus au bonheur des individus.

Comme vous l’avez dit, dans ce monde globalisé, marqué par des inégalités croissantes, des incertitudes sur le marché du travail, la polarisation politique, le changement climatique et l’augmentation des taux de divorce, il peut sembler difficile de réunir ces critères, mais par rapport à toute autre période de l’histoire, il est bon de se rappeler que nous n’avons jamais eu autant d’opportunités d’être heureux et d’être en mesure de créer un « art de vivre ».

3. Comment mesure-t-on le bonheur ?

Dans la plupart de ces études, le bien-être ou le bonheur subjectif a généralement été évalué par des questions comme :

En prenant tout en considération, dites-moi, sur une échelle de 0 à 10, dans quelle mesure vous êtes heureux (« 0 » signifiant très malheureux et « 10 » très heureux).

Ou :

En prenant tout en considération, quel est votre niveau de satisfaction dans la vie en général ? Veuillez noter que 0 signifie très insatisfait et 10 très satisfait.

Des études empiriques confirment que les réponses aux enquêtes sont fortement corrélées avec l’électroencéphalogramme de la zone préfrontale du cerveau, qui est responsable des sentiments de bien-être interne.

D’autres études montrent également que ces réponses sont valables pour des individus dans des contextes culturels et ethniques distincts.

4. Dans quelle mesure la culture influe-t-elle sur nos attentes individuelles ?

Beaucoup ! Plus qu’on ne le pense. Les chercheurs Daniel Kahneman et Amos Tversky ont montré dans des travaux précurseurs que les biais cognitifs influent constamment sur la façon dont nous percevons la réalité et, par conséquent, sur nos attentes et notre bien-être intérieur. Cela est en partie compréhensible étant donné qu'il n'existe pas de de mécanismes psychologiques « purs », sans contexte, car la psyché humaine ne peut exister indépendamment de ses contextes socioculturels. Les individus d’une même culture peuvent notamment partager et perpétuer des préjugés cognitifs spécifiques. En effet, les pratiques et les significations culturelles sont considérées comme allant de soi dans chaque culture et ne sont généralement pas remises en question par les individus. L’une des dimensions culturelles les plus importantes est l’opposition entre individualisme et collectivisme.

Les cultures individualistes se caractérisent généralement par l’adoption par les individus de deux biais cognitifs interdépendants : la valorisation de soi et l’optimisme.

Le biais de valorisation de soi fait référence au fait que les individus ne « voient » que sélectivement leurs réussites individuelles et négligent à la fois leurs échecs et les réussites des autres pour se construire une image positive permanente d’eux-mêmes.

Le biais d’optimisme est basé sur la surestimation de la probabilité d’obtenir des résultats positifs. En témoigne par exemple l’idéal culturel des États-Unis qui se dit être une « terre d’opportunités », où, indépendamment des conditions macroéconomiques ou des circonstances individuelles, il y a toujours des opportunités à saisir si les individus se donnent les moyens de les saisir.

Dans les cultures collectivistes, en revanche, les individus adoptent généralement le biais du pessimisme. Ce biais cognitif amène les individus à surestimer la probabilité de résultats négatifs et à croire que leurs conditions et opportunités dans la vie sont en permanence inadéquates.

5. Quelle est l’importance du bonheur dans nos vies ?

Le bonheur est devenu pour la plupart un objectif beaucoup plus réaliste ces 100 dernières années. Avant cela, on n’avait pas vraiment le temps de penser à « être heureux ». Plus les niveaux de développement économique seront élevés et associés à l’espérance de vie plus longue et à la protection sociale accrue qui vont avec, plus le bonheur va gagner en importance dans nos vies et, avec lui, la responsabilité individuelle et sociétale de favoriser son émergence.

Il est intéressant de noter qu’au cours de ces vingt dernières années, les secteurs public et privé ont changé de paradigme pour donner la priorité au bien-être, et ce surtout après la crise économique de 2008. Cela peut paraître surprenant étant donné que les penseurs classiques de l’économie de marché, tels qu’Adam Smith ou Stuart Mill, en parlaient déjà dans leurs traités d’« économie morale ».

Aujourd’hui, la recherche sur le bien-être subjectif contribue au débat sur les limites de mesures traditionnelles de la croissance économique et du progrès social, comme le PIB. L’indice de développement humain des Nations unies, l’indicateur « Vivre mieux » de l’OCDE, l’indice du bien-être du Gallup Healthways et les indices de services écosystémiques incluent déjà des mesures du bien-être subjectif en complément des indicateurs matériels. De nombreux gouvernements régionaux, nationaux et supranationaux vont dans le même sens.

6. Quels sont les cinq conseils utiles que vous donneriez à nos lecteurs pour qu’ils soient heureux ?

Les 5 conseils utiles : 

1. Soyez authentique et cultivez vos passions. La vie est courte ! Il n’y a pas de temps à perdre ! La capacité à vivre poétiquement est une clé pour trouver le bien-être, comme le dirait le philosophe français Edgar Morin. Quels sont vos objectifs dans la vie ? Commencez par réfléchir à votre raison d’être.

2Cultivez votre esprit critique et essayez aussi d’appréhender le point de vue des autres. En ces temps de polarisation croissante, de contrôle médiatique et de démagogie, il est de plus en plus important d’être critique, emphatique et prêt à remettre en question ses propres opinions.

3. Soyez prêt à désapprendre. Soyez reconnaissant et gentil envers les autres et essayez de contribuer à améliorer la situation de ceux qui vous entourent. Avez-vous fait quoi que ce soit pour améliorer la vie d’autrui ? Eduardo Galeano disait : « Vivre pour gagner n’en vaut pas la peine, vivre pour suivre sa conscience si ».

4Voyez dans les erreurs et les échecs des moyens de progresser. Sortez souvent de votre zone de confort. La chance, c’est lorsque la préparation et l’opportunité se rencontrent. Marchez sur le « bord d’un abîme » comme Platon disait dans l’Allégorie de la caverne.

5. Trouvez le plus grand nombre possible d’activités qui génèrent chez vous une sensation de flux (engagement total) – investissez-vous dans des activités où vous perdez réellement la notion du temps. Cela vous permettra également de profiter des moments qui précèdent ces activités. Le bonheur est aussi dans la « salle d’attente » du bonheur. Apprenez à apprécier la perspective que quelque chose de bien va se produire.

À propos du blog : 

 

Il devient urgent d’opérer une transition rapide vers une durabilité environnementale à l’échelle mondiale. Les entreprises et l'industrie ont d'énormes impacts sociaux et environnementaux. « Pourquoi est-ce important ? »  est un blog bimensuel qui vise à éclaircir ce sujet important à travers le regard de nos experts.


Ne manquez pas les conseils pratiques de nos experts pour votre quotidien et faites partie du changement positif.

Développement durable