Thorunn Egilsdottir
Corporate Communication Manager
31 juillet 2024

Comment collaborer avec les gouvernements pour promouvoir des pratiques bancaires responsables ?

Quels sont les différents aspects de la banque responsable et les défis auxquels les banques sont confrontées ? Dans cette interview, Aude Payan et Elena Fuzzi, respectivement directrice et senior manager au sein du département Risk Consulting et en charge des services ESG pour les banques chez KPMG, livrent un éclairage détaillé et des exemples de stratégies innovantes grâce auxquelles les établissements financiers peuvent faire progresser les normes bancaires éthiques.

1. Comment les établissements financiers peuvent-ils collaborer efficacement avec les gouvernements pour promouvoir des pratiques bancaires responsables ?

L’expression « pratiques bancaires responsables » a un sens relativement large. Nous avons sélectionné ici trois exemples dans lesquels les établissements financiers et les gouvernements peuvent s’associer efficacement pour les faire avancer.

Premièrement, en aidant les pays à passer à une économie plus durable en finançant des obligations et des prêts écoresponsables pour des initiatives gouvernementales, telles que des projets d’investissement dans les énergies renouvelables, les transports publics respectueux de l’environnement et l’agriculture durable.

Ensuite, en centralisant les bases de données utilisées par les deux parties. Cela permettrait aux banques d’exploiter les données gouvernementales pour évaluer et stresser leur exposition aux risques ESG, de prévoir des mesures d’atténuation et de proposer des solutions en faveur d’une croissance économique durable à long terme pour le pays. On pense notamment aux données sur les prévisions météorologiques et de températures, les risques de catastrophes naturelles par localisation, les statistiques démographiques, les prévisions d’approvisionnement en eau, les risques agricoles, les faiblesses des infrastructures essentielles, les émissions de gaz à effet de serre et la performance énergétique des bâtiments.

Troisièmement, en mobilisant des profils experts et en formant des techniciens pour monter en compétences dans le but d’aider les banques à évaluer les critères des financements verts. Ils peuvent également contribuer à renforcer l’éducation financière de la population en promouvant des produits bancaires qui soutiennent des pratiques responsables et l’indépendance financière des personnes défavorisées.

2. Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les banques lorsqu’elles dialoguent avec les organismes de réglementation pour faire progresser la banque responsable ?

Bien que les banques soient habituées à se conformer à différentes réglementations, le paysage réglementaire en constante évolution de la banque responsable manque parfois de lignes directrices claires et concrètes et exige de produire de nombreuses déclarations.

Pour y remédier, les banques sont encouragées à dialoguer avec les organismes de réglementation, soit directement, soit par le biais d’un intermédiaire qui représente les intérêts des banques, comme l’Association des Banques et Banquiers, Luxembourg (ABBL).

Le nombre considérable de parties prenantes internes qui sont concernées par la réglementation liée aux pratiques bancaires responsables pose également un défi. Parmi elles figurent les équipes de front-office en charge de la relation client et des produits proposés, les deuxième et troisième lignes de défense, la direction générale et des départements tels que le facility management, la direction des données et les ressources humaines. Par conséquent, les banques doivent coordonner toutes les difficultés rencontrées par ces différents départements et leurs solutions potentielles dans un message commun dans le cadre de leurs échanges avec les organismes de réglementation.

3. Au niveau mondial, pouvez-vous nous donner des exemples de partenariats réussis entre des banques et des gouvernements pour promouvoir des initiatives bancaires socialement responsables ?

Nous avons sélectionné trois exemples couvrant trois continents.

Depuis 2019, au Royaume-Uni, le Climate Financial Risk Forum, une initiative conjointe entre la Prudential Regulation Authority (PRA) et la Financial Conduct Authority (FCA), fournit aux banques des directives pratiques sur la mesure et la surveillance des risques financiers liés au climat. Ces orientations ont d’ailleurs aidé les acteurs européens à répondre aux attentes de la BCE en matière de risques climatiques et environnementaux.

Le gouvernement australien collabore régulièrement avec les banques pour améliorer les connaissances financières de la population. Des programmes tels que « MoneySmart » sont menés conjointement par l’Australian Securities and Investments Commission (ASIC) et les établissements financiers afin de sensibiliser les consommateurs aux comportements financiers responsables, aux pratiques bancaires éthiques et aux services bancaires responsables.

Au Brésil en 2017, le Financial Innovation LAB, une organisation multipartite, a été lancée pour discuter et piloter des initiatives de finance durable. Depuis, il a mené des recherches thématiques sur les pratiques de reporting ESG au sein des entreprises brésiliennes, formé des acteurs financiers pour identifier et atténuer les risques financiers, et soutenu l’élaboration des réglementations bancaires sur les risques ESG.

4. Comment l’évolution des politiques réglementaires influe-t-elle sur la manière dont les banques abordent leurs pratiques bancaires responsables ?

Les banques ont d’abord considéré la réglementation ESG comme un exercice supplémentaire de conformité plutôt que comme une opportunité d’adapter leur vision et stratégie face à une nouvelle réalité en permanente évolution.

Cependant, les grands groupes bancaires ont commencé à adapter leur stratégie et mettre à jour leur offre de services pour rester financièrement stables et attractifs tout en améliorant leurs pratiques bancaires responsables. Cela passe par le lancement de nouveaux produits comme les prêts dédiés aux véhicules verts, les prêts pour l’amélioration de la performance énergétique à des taux favorables et les investissements dans des projets axés sur les critères ESG.

Les pratiques bancaires responsables impliquent également que les établissements respectent des normes de bonne gouvernance. Par exemple, il est essentiel de disposer d’un cadre de gouvernance solide et d’indicateurs de risque dédiés pour atténuer et surveiller l’écoblanchiment (plus connu sous l’appellation « greenwashing ») involontaire lors de la mise en œuvre de nouvelles politiques réglementaires et  de la publication d'informations sur ces sujets. Cela doit inclure (i) des contrôles qui évaluent le risque d’écoblanchiment d’un client ou d’un produit, comme la comparaison des informations ESG du produit avec son objectif initial, (ii) des limites fixées aux indicateurs de risque d’écoblanchiment et (iii) une revue indépendante impliquant les trois lignes de défense des banques.

Les exigences de reporting public de la directive Corporate Sustainable Reporting et du Pilier 3 ont également une incidence sur les activités et décisions des banques : en effet, même si une banque ne prend pas de mesures stratégiques en réponse aux changements réglementaires, elle doit tout de même publier sa stratégie ou son absence d’action en la matière, ce qui mène donc les banques à se positionner pour des pratiques bancaires plus responsables.

5. Quels sont vos cinq conseils concernant des stratégies innovantes que les établissements financiers peuvent mettre en œuvre afin de faire progresser les normes bancaires éthiques ?
  1. Innovez en ayant un impact via vos produits : proposez des produits financiers « classiques » dont une partie des bénéfices des clients est reversée à un projet ESG, la banque complétant cette somme à hauteur du même montant.
     
  2. Innovez à travers vos outils : utilisez la technologie pour améliorer la transparence interne et externe et réduire le risque de fraude et de corruption, appuyez-vous sur l’IA pour détecter et prévenir les pratiques contraires à l’éthique, et adaptez vos outils de suivi des risques et de tests de résistance pour intégrer les risques ESG de vos contreparties.
     
  3. Innovez grâce à vos collaborateurs : encouragez vos collaborateurs à rejoindre des comités de projets ESG et à effectuer un service communautaire à travers des journées et programmes de bénévolat, et formez-les aux pratiques durables à appliquer dans leur vie quotidienne.
     
  4. Innovez dans vos pratiques commerciales actuelles et vos processus d’acceptation des clients : limitez les dépôts des clients si les fonds proviennent de secteurs ayant un impact ESG négatif.
     
  5. Innovez pour votre future clientèle : repensez votre stratégie, votre communication et votre offre numérique, sensibilisez les clients à l’indépendance financière et aux investissements et favorisez les projets entrepreneuriaux répondant aux critères ESG.
A propos du blog :

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