Analyse economique Q2 2023
L’économie s’est montrée résiliente tout au long de ce premier semestre de l’année, et ce malgré les questions qui la taraudaient. Rappelons que nous nous trouvons dans un contexte de resserrement monétaire agressif qui a débuté il y a un peu plus d’un an, l’objectif des banques centrales se résumant à lutter contre une inflation très forte qui a surpris la sphère économique et financière l’an dernier.
Pour l’instant, la désinflation s’est opérée sans douleur sur l’économie, ce qui est positif. L’inflation est passée de la barre des 10% à 3% aux États-Unis, à près de 5% en Europe, et l’activité économique semble encore tenir le cap. Aux États-Unis, la croissance se maintient. Elle a été révisée à la hausse, à 2%, au premier trimestre alors que la première estimation tablait sur 1,3% de croissance séquentielle annualisée. Au deuxième trimestre, la croissance devrait également rester positive, même si les chiffres officiels ne sont pas encore publiés. Avec un bémol toutefois : la récession technique a touché l’Europe puisqu’une croissance négative a été enregistrée entre le quatrième trimestre 2022 et le premier trimestre 2023.
Cette deuxième partie de l’année devient plus intéressante car les avis divergent significativement. D’un côté, les investisseurs plus optimistes se positionnent en faveur d’un soft landing : la baisse de l’inflation permet aux ménages de gagner en pouvoir d’achat et la consommation est susceptible de faire tenir l’économie. D’un autre côté, les investisseurs plus prudents se rangent en faveur d’un hard landing, soit un atterrissage en force.
Les partisans de cette vue estiment que l’économie ne pourra pas se défaire l’inflation, surtout de l’inflation core, tant que la croissance ne baisse pas de manière significative. Les parallèles historiques viennent en soutien de cette thèse : les banques centrales vont généralement trop loin dans la lutte contre l’inflation et finissent par provoquer une récession. À cet égard, il serait surprenant de voir l’inflation core diminuer rapidement sans porter atteinte au marché de l’emploi. En effet, un marché de l’emploi florissant comme aujourd’hui est souvent accompagné de croissance salariale élevée, qui vient nourrir les prix des services. En réalité, si l’inflation core est un problème aujourd’hui, c’est surtout à cause de l’évolution des prix des services.
En juin, la création d’emplois a été en-dessous des attentes des économistes aux États-Unis, laissant présager une modération sur le marché de l’emploi. Certes, la création nette d’emplois demeure positive. L’économie américaine continue donc de créer de l’emploi mais à un rythme qui s’inscrit sur une pente descendante. Toutefois, il est encore trop tôt pour parler d’une véritable dégradation puisque le taux de chômage est encore trop faible, le nombre de postes vacants est trop élevé et les salaires continuent de croître.
Face à une inflation rigide, les banques centrales continuent de promettre des politiques monétaires restrictives.
Même si la Fed a fait une pause, les dot plots (une projection des niveaux de taux pour chaque membre de la Fed) annoncent une volonté d’effectuer deux nouvelles hausses en 2023 pour porter les taux directeurs à plus de 5,5% au vu de la persistance de l’inflation. En zone euro, le marché escompte que les taux de dépôts de la banque centrale passent de 3,5% à 4% d’ici la fin de l’année.
Maintenant que l’inflation est en-dessous des taux directeurs de la Fed, les taux réels corrigés de l’inflation sont devenus positifs, ce qui laisse entrevoir un durcissement automatique de la politique monétaire. Plus les taux directeurs resteront au-dessus de l’inflation et/ou des attentes d’inflation, plus le caractère restrictif de la politique monétaire devrait se faire sentir sur l’économie. Aussi, compte tenu du retard classique de la politique monétaire à toucher les variables économiques, il serait raisonnable de s’attendre à ce que les premiers impacts se fassent sentir dans le courant de la deuxième moitié de l’année.
Les actions mondiales ont continué d’enregistrer des gains au cours de ce deuxième trimestre. La progression des marchés développés s’est montrée soutenue (+6,5%), portant la performance annuelle à plus de 13%. Les États-Unis ont surtout porté les marchés actions (+8%), tandis que les actions des marchés européens (+2,5%) et émergents ont été à la traîne (+0,5%). Cette performance timide des marchés européens témoigne du fait qu’ils ont perdu leur élan du premier trimestre, lors duquel la progression avait été remarquable, à plus de 8%. Ces derniers mois, l'engouement pour l'intelligence artificielle (IA) a clairement stimulé les actions technologiques de part et d’autre de l’Atlantique.
Les marchés ont su aller de l’avant, et rien ne leur a fait obstacle : ni les craintes de récession, ni les difficultés liées au plafond de la dette américaine qui sont survenues pendant la période, ni les faillites des banques régionales aux États-Unis.
En effet, le début de période était empreint d’une certaine prudence des investisseurs en raison des inquiétudes liées au plafond de la dette aux États-Unis. Cependant, le Congrès a adopté une législation suspendant le plafond de la dette début juin, dans un accord incluant des concessions en matière de dépenses, qui devraient avoir peu d'effet sur la croissance économique.
Au cours du trimestre, le secteur de la Technologie de l'Information a été le moteur de la progression du marché boursier. L'engouement pour l'IA et le potentiel de croissance des technologies qui lui sont associées ont soutenu principalement les fabricants de puces. Les secteurs de la Consommation discrétionnaire et des Services de Communications ont également enregistré de bonnes performances, tandis que les secteurs de l'Énergie et des Services aux Collectivités ont été moins performants.
Les plus grandes valeurs technologiques derrière cette belle progression sont connues : Apple, Amazon, Alphabet, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla. Les médias financiers ne parlent donc plus de FAANG, mais de Magnificent Seven. À elles seules, ces entreprises ont atteint des valorisations astronomiques : Apple a dépassé les 3000 milliards de dollars et Nvidia a dépassé les 1000 milliards de dollars de capitalisation durant la période. Pour la petite histoire, la valorisation d’Apple a dépassé celle des titres du Russell 2000, indice des petites capitalisations américaines. Ce ne serait donc pas exagéré de parler de marché polarisé, surtout sur les indices américains. Nous observons un grand écart qui inverse les mouvements de l’an passé entre un indice technologique comme le Nasdaq qui effleure les 30% de performance et un indice composé de valeurs dites plus traditionnelles tel que le Dow Jones, qui peine à s’inscrire dans le vert.
La question est double : il s’agit bien entendu de savoir si ces valorisations sont justifiées et si tel est le cas, si elles sont susceptibles de continuer à être stratosphériques. Il est évident que de tels niveaux de valorisations, qui sont généralement soutenues par des taux faibles, peuvent donner le tournis à beaucoup d’investisseurs. D’ailleurs, ils se sont habitués à des environnements de marchés chèrement valorisés, portés par le secteur de la Technologie en priorité durant la période post-crise financière. Toutes proportions gardées, car cela se faisait en période de taux très bas et de quantitative easing. Or, actuellement, les taux sont élevés et devraient le rester. Les marchés actions anticipent-ils un retour à ce régime d’inflation très faible, voire de déflation ? C’est possible, mais une autre piste existe. L’adoption de l’IA par la plupart de ces entreprises promet beaucoup en gains de productivité et en croissance potentielle. L’attention rigoureuse que nous portons aux signaux décelés nous permettra de dégager des directions et des opportunités dans ce secteur.
En Europe, les actions ont aussi enregistré des gains au deuxième trimestre, principalement soutenus par les secteurs de la Finance et de la Technologie de l'Information. En revanche, les secteurs de l'Énergie et des Services de Communications ont été à la traîne.
Dans le segment obligataire, la Fed a, certes, introduit une pause dans son cycle de hausses de taux durant la période, mais sa politique monétaire a vocation à rester restrictive. À l’issue de la période, les taux américains à 2 ans se sont envolés vers 5% et sur le Vieux Continent, ils ont grimpé à plus de 3% en Allemagne. De même, sur les taux à plus longue échéance, les discours hawkish ont continué de pousser les taux à la hausse. Toutefois, l’inflation s’est désormais installée sur une pente baissière et les phases de panique connues l’an dernier sont derrière nous. Dès lors, l’obligataire peut à nouveau apporter de la performance et de la diversification tant que l’inflation reste contrôlée.
Enfin, les marchés des devises et du pétrole se comportent comme les marchés actions en cette première moitié de l’année: les perdants de l’an passé deviennent les gagnants de cette année. Ainsi, la thématique du dollar fort semble faire partie du passé. En 2022, le dollar grimpait avec les hausses de taux très fortes de la Fed. Or, actuellement, nous sommes dans une zone où la BCE risque de continuer à relever ses taux plus longtemps que la Fed.
La situation est similaire pour le pétrole : 2022 était une année très particulière puisque les cours ont grimpé sur un fond de guerre et de problématiques d’offre. Aujourd’hui, le mouvement s’est inversé : nous avons quitté les sommets à près de 130 dollars pour laisser place à un Brent oscillant entre 70 et 80 dollars.