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Analyse economique Q1

Savoir adapter sa vision, faute de clarté

Analyse économique - Avril 2022

Au début de l’année, les différents scénarios macroéconomiques tablaient sur la poursuite d’un environnement de croissance et sur une réduction progressive de l’inflation. En effet, en 2021, la reprise a été spectaculaire : la croissance mondiale flirtait avec les 6% et l’inflation s’affichait à plus de 4%. Dans les prévisions de janvier, il était attendu que la croissance se normalise, tout en restant bien au-dessus de la moyenne de long terme, où les taux de croissance des économies développées atteignaient 4%. Cela dit, depuis plusieurs mois, l’inflation est devenue un véritable sujet de préoccupation : si les banques centrales l’ont d’abord qualifiée de transitoire, elles ont petit à petit réalisé qu’elle serait plus durable que prévu. Nous sommes donc entrés dans l’année nouvelle avec des perspectives de banques centrales plus agressives sur le plan de la lutte contre l’inflation, mais avec des attentes de croissance toujours bien orientées.

Entre temps, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a donné un soufflet aux perspectives économiques, et déclenché un choc inflationniste conséquent qui s’est révélé dans l’explosion des prix du gaz et du pétrole, mais aussi une perte de confiance dans l’économie réelle. Alors que l’impact de la pandémie sur les chaînes d’approvisionnement, et par conséquent sur l’inflation, sont encore présents, les craintes de stagflation se sont naturellement exacerbées avec le conflit. Cela se traduit par des attentes de croissance revues à la baisse et des attentes d’inflation revues à la hausse. Ces corrections baissières sont plus fortes en Europe qu’aux États-Unis, car le Vieux Continent se montre plus dépendant des sources d’énergie russes et la proximité géographique du conflit y affecte davantage la confiance des acteurs économiques. 

ZEW : Sentiment économique

Source : Datastream

À l’heure actuelle, 3% de croissance est attendue en Europe, alors que 3,4% est attendue aux États-Unis. Ces chiffres restent tout à fait corrects, même si la révision à la baisse a été bien plus prononcée en Europe.

Désormais, l’environnement macroéconomique se caractérise ainsi : les attentes de croissance sont calées sur une dynamique baissière alors que les attentes d’inflation sont revues à la hausse.

La Chine, deuxième économie mondiale, rencontre également des difficultés depuis plusieurs mois. Alors que la croissance qui y est attendue est supérieure à celle des pays développés (5% en 2022), certains indicateurs de confiance révèlent que des difficultés se profilent. Notamment la politique « zéro Covid », qui consiste à confiner très rapidement les zones touchées par le Covid-19, entame la confiance des ménages et des consommateurs et porte un coup à l’activité économique. À titre d’exemple, les PMI, indicateurs économiques suivis de très près, ont plongé sous la barre de 50 pour les secteurs manufacturier et non-manufacturier, ce qui témoigne d’une réduction de l’activité. L’Immobilier est également dans l’adversité. Après le défaut du géant immobilier Evergrande en 2021, l’ensemble du secteur est à la peine, ce qui s’exprime depuis plusieurs mois à travers les primes de risque du secteur. Bon an mal an, l’économie chinoise peut faire valoir un point fort dont les économies développées sont privées à l’heure actuelle : une inflation faible. En mars, l’inflation annuelle a atteint 1,5% seulement, ce qui laisse à la banque centrale chinoise la possibilité d’opter pour une politique monétaire plus accommodante si besoin.

Croissance et inflation attendues en Europe et aux Etats-Unis

Europe

Croissance

Inflation

2022

2,9

6,4

2023

2,4

2,2

Etats-Unis

Croissance

Inflation

2022

3,3

6,9

2023

2,2

2,9

Source : Consensus Bloomberg

Voir le verre à moitié plein : l’emploi

Les chiffres d’emploi sont généralement encourageants de part et d’autre de l’Atlantique. D’ailleurs, c’est une des justifications des politiques monétaires restrictives qui s’annoncent. En effet, la théorie économique stipule un arbitrage qu’effectue la politique monétaire entre l’inflation et le chômage. Un chômage faible devrait aller de pair avec une inflation élevée, et vice versa. Actuellement, les taux de chômage sont généralement faibles. Aux États-Unis, il est à 3,6%, quasiment son niveau d’avant Covid, signe que le marché du travail se porte bien : les demandes d’inscription au chômage sont au plus bas depuis 1969 et les salaires progressent vers 4% en termes annuels.

En Europe, le chômage diminue aussi. À 8,6% au sommet de la pandémie, il a chuté à 6,8%, ce qui est encourageant car ce chiffre était à 7,2% avant la pandémie. Les salaires progressent dans la Zone euro également, mais à un rythme annuel plus modéré qu’aux États-Unis, entre 2% et 3%.

Inflation et Politique monétaire : réussir l’atterrissage

Ce contexte place les banques centrales dans une situation très délicate. Rappelons-le, généralement, leur principal mandat est d’assurer la stabilité des prix. Actuellement, nous nous trouvons dans un contexte d’inflation élevée : en février, la croissance annuelle de l’indice des prix à la consommation était de 7,9% aux États-Unis et de 5,9% dans la Zone euro. Rappelons que ces chiffres sont élevés en absolu, mais aussi en comparaison à l’objectif d’inflation annuelle de 2% que fixent les banques centrales.

Cette inflation est surtout poussée par un problème d’offre : les prix de l’énergie et des matières premières agricoles ont considérablement augmenté en raison de la guerre en Ukraine et les chaînes d’approvisionnement sont perturbées, notamment en raison de la politique « zéro Covid » de la Chine qui consiste à imposer des restrictions de manière très agile lorsque surviennent de nouveaux cas de Covid-19.

Inflation annuelle en Europe et aux États-Unis

Source : Datastream

Or, l’action des banques centrales reste très limitée face à ce genre d’écueils. En général, les banques centrales agissent de sorte à calmer l’inflation induite par la demande ; or, ce n’est pas vraiment ce cas de figure que nous vivons.

Les banques centrales se retrouvent face à un défi : réussir à calmer l’inflation à travers un resserrement de la politique monétaire (réduction de leurs bilans et hausse de taux) sans compromettre l’activité économique. Il faut admettre que la démarche est difficile : la littérature économique qualifie cette manœuvre de soft landing. Un exemple célèbre de soft landing réussi date de 1995, lorsque la Fed a marqué une pause dans son cycle de hausses de taux et a permis à l’économie de continuer de progresser encore quelques années jusqu’à la récession de 2001. Cela dit, des contre-exemples existent en nombre car la plupart des cycles de resserrement monétaire s’achèvent sur une récession.

En somme, l’économie mondiale se retrouve dans une situation que l’inflation complique. La croissance a atteint son pic entre les premier et deuxième trimestres de 2021. Depuis, le cycle économique est entré en normalisation, avec toutefois de réelles perspectives de croissance. À l’heure actuelle, les banques centrales sont contraintes de resserrer leurs politiques monétaires à travers des remontées de taux directeurs et une réduction de leurs bilans. Elles ont pris du retard dans cette lutte contre l’inflation car elles doivent la mener alors que le rythme de croissance de l’économie mondiale est déjà réduit. La question est de savoir dans quelle mesure les banques centrales seront capables de réussir leur atterrissage, c’est-à-dire de limiter l’inflation et contenir les attentes d’inflation sans perturber davantage la croissance économique. Notre allocation globale est le fruit de mûres réflexions menées dans ce cadre macroéconomique complexe.

Aykut Efe
Economist & Strategist
Spuerkeess Asset Management

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