Analyse economique Q3 2023
Les prévisions économiques n’ont cessé d’être révisées à la hausse cette année. En janvier, le consensus des économistes tablait sur une récession (croissance économique négative matérielle) qui devait frapper les économies développées en raison des relèvements de taux des banques centrales destinées à faire fléchir une inflation record partout dans le monde. Si considérables soient-ils, l’économie mondiale a jusqu’à présent affiché une résilience assez surprenante face à ces relèvements de taux. Alors que des secteurs entiers tels que la production manufacturière et l’immobilier ont été frappés de plein fouet, les services ont tenu et tiennent toujours bon.
Rappelons que les ménages ont bénéficié de chèques publics pour soutenir l’activité lors de la pandémie de Covid : une bourse dans laquelle les ménages continuent de piocher pour consommer, et qui dure depuis cette période. Aussi, la pandémie a changé les équilibres et les rapports de force sur le marché de l’emploi. En effet, pour attirer les candidats, une certaine concurrence s’est installée entre les entreprises qui peinaient à recruter, phénomène qui a poussé les salaires à la hausse. C’est ainsi que malgré l’inflation, les ménages ont continué de consommer grâce à une épargne plus élevée que par le passé dans un contexte de hausse des salaires. Ajoutons à cela la volonté de consommer des services après en avoir été privés durant la pandémie, et nous obtenons l’ingrédient magique déclencheur du cercle de consommation vertueux.
L’autre réponse au mystère de cette récession qui ne cesse d’être repoussée est la santé des bilans des entreprises. Pendant la pandémie, elles ont profité de taux extrêmement bas pour s’endetter et n’ont pas forcément dû renouveler leurs dettes, avec les taux de refinancement qui s’appliquent depuis la remontée des taux. Cela dit, cet effet ne sera pas éternel. Le mur des échéances se profile à l’horizon 2024-2025, et c’est à ce moment-là que l’étau risque de se resserrer.
Et si le pic d’inflation autour des 10% connu 2022 est bel et bien de l’histoire ancienne, la stabilité des prix n’est pas encore d’actualité. Les banques centrales ont pour objectif une inflation stable qui se situe autour de la cible de 2%. Actuellement, l’inflation en Europe dépasse 4% et atteint 3,7% aux États-Unis où depuis juin, elle suit une trajectoire singulière de retour à la hausse en glissement annuel.
Aussi, même si un atterrissage en douceur de l’économie semble être un scénario qui gagne du terrain, plusieurs planètes doivent s’aligner pour qu’il survienne. Or, il apparaît que plus les marchés privilégient ce scénario, plus le marché obligataire adhère au mantra higher for longer. Des taux élevés qui s’appliquent pendant plus longtemps sur le reste de l’économie seront donc susceptibles de freiner l’activité plus que prévu. Ainsi, les espoirs de soft landing en sont en même temps l’antidote. À titre d’exemple, les taux pour les prêts immobiliers à 30 ans aux États-Unis s’élèvent désormais à 8% à l’issue du troisième trimestre contre 3% en 2021. De même, les taux appliqués sur les cartes de crédit touchent 20%, alors qu’ils se situaient à 12% en 2021. Les banques centrales doivent donc justement calibrer leur politique monétaire pour réduire l’activité et faire ralentir la hausse des prix sans tomber dans l’excès et sans provoquer de récession. L'histoire nous enseigne que la démarche est délicate car l'inflation tarde à réagir aux hausses de taux. Ainsi, le retour à la cible d'inflation n'étant pas encore d'actualité, les banques centrales continuent de garder les taux à des niveaux élevés tandis que les indicateurs économiques avancés se fissurent.
L’autre facteur important qui a soutenu l’activité économique a été une politique budgétaire expansionniste, notamment aux États-Unis, reprise sous le nom de « Bidenomics ». Les dépenses publiques visant à investir dans les infrastructures, la transition verte et la relocalisation de la production de semi-conducteurs contribuent à la croissance économique en sont les meilleurs exemples.
Bien entendu, cet état de fait risque de compromettre la lutte de la Fed contre l’inflation car cela maintient la tension sur le marché de l’emploi. Ne pas ramener le marché de l’emploi à l’équilibre risque de faire échouer la Fed dans la lutte contre l’inflation.
Jusqu’à présent, la légère modération du marché de l’emploi, qui se caractérise par une baisse du taux d’emplois vacants de 7,5% à 5,8% et une croissance plus faible des salaires, semble être une réussite pour la Fed qui essaie de réduire les pressions inflationnistes sans faire dérailler l’économie. Les indicateurs en temps réel de l’activité montrent que la croissance encourageante des deux premiers trimestres pourrait bel et bien se prolonger aux chiffres officiels du troisième trimestre.
Cela dit, quand l’activité se retourne, tout peut s’emballer assez rapidement. Certes, l’économie tient encore, mais notons tout de même que certains signes précurseurs ont atteint des points qui, historiquement, concordent avec une récession. Rappelons-le : la repentification de la courbe des taux qui fait suite à une inversion historique présage souvent d’une récession. Aussi, les resserrements des conditions de prêts et l’emploi temporaire en déclin sont autant d’indicateurs précurseurs témoignant d’une certaine faiblesse larvée.
Le cadre macroéconomique persévère dans la résilience malgré les remontées de taux agressives qu’opèrent les banques centrales. Nous l’avons évoqué, un certain nombre d’indicateurs touchent des niveaux qui tutoient la récession. D’ailleurs, jusqu’à présent, la récession n’a pas eu lieu parce que les ménages disposaient d’épargnes abondantes et alimentaient la consommation, et les entreprises n’ont pas encore été contraintes à se refinancer aux taux actuels car elles avaient déjà profité des niveaux de taux extrêmement faibles nés de la pandémie. N’oublions pas de prendre en compte les dépenses publiques élevées, qui ont significativement soutenu la croissance. Si la récession a été évitée jusqu’à présent, cela ne signifie pas qu’elle doit être écartée des scénarios. Bien au contraire, les risques demeurent élevés dans ce contexte de politique monétaire très restrictive.
Voyons ensemble quelles sont les perspectives sur les marchés financiers dans le contexte macroéconomique actuel.
Un trimestre volatile vient de s’achever sur les marchés financiers.
Ce troisième trimestre qui vient de s’écouler s’est retrouvé marqué du sceau de la volatilité. Après deux trimestres de performance positive sur les marchés actions, il est l’ombre au tableau des investisseurs qui se sont montrés quelque peu frileux ce trimestre, dans un contexte macroéconomique qui leur donne du fil à retordre. Ce dernier trimestre était volatil, certes, mais il a surtout essuyé les revers de la remontée des taux souverains, même si les campagnes de remontées de taux des banques centrales semblent toucher à leur fin. Les taux à longue échéance se sont d’ailleurs retrouvés sous le feu des projecteurs, leur ascension fulgurante pendant cette période ont fait l’objet de nombreux questionnements. Par exemple, le taux allemand à 10 ans a grimpé de 45 points de base pour finir le trimestre à 2,84% et son homologue américain a pris 73 points de base pour toucher 4,57%, alors que le mantra Higher for Longer s’insinuait avec davantage de conviction dans le cœur des marchés. De cette hausse des taux et de la résilience économique américaine a découlé un renforcement du dollar face à l’euro. Pour boucler la boucle, le pétrole n’a pas manqué de faire parler de lui. Le prix de l’or noir a suivi la tendance haussière tandis que sa production s’annonçait en déclin. Un bien fâcheux trio haussier des taux, du dollar et du pétrole, qui a naturellement affaibli l’appétit pour le risque.
Ainsi, l’indice d’actions global a baissé d’un demi-point de pourcentage en euros, alors qu’il a perdu près de 3,50% en USD. Si la réduction en euros amortit le choc pour l’investisseur européen en raison de l’effet de change, cela dissimule des chutes plus marquées sur certains indices en devises locales. Par exemple, les indices S&P 500 et STOXX EURO 50 ont chacun dévissé de près de 7% pendant la période.
Dans un tel contexte, nous comprenons aisément que l’investisseur européen avait tout intérêt à adopter une diversification internationale de ses investissements. S’il perd sur des actifs libellés en euros, l’effet devise lui est très favorable car la baisse des actifs en devises étrangères est en grande partie compensée par l’affaiblissement de l’euro contre le dollar notamment. La résilience relative de l’économie américaine, qui s’est traduit par une hausse des taux souverains américains, a eu pour effet un renforcement assez marqué du dollar contre l’euro et l’ensemble des devises.
À la suite de ces corrections, les marchés actions voient des valorisations qui sont un peu moins sous pression. À titre d’exemple, le ratio prix/bénéfices des entreprises du S&P 500 est passé de près de 20 à 17,5, qui est la moyenne de ces dix dernières années. Si cela représente un retour à la moyenne plutôt encourageant, comparer les rendements obligataires avec les marchés actions nous fait prendre conscience qu’ils sont plutôt chèrement valorisés. Ainsi, le rendement espéré du S&P 500 se situe bien en-dessous du rendement d’une obligation américaine à courte échéance et réduit l’attractivité relative du risque actions.
Lorsqu’on regarde le marché actions d’un peu plus près, les disparités sautent aux yeux. Par exemple, la performance du marché actions américain depuis le début de l’année continue d’être portée par les Magnificent 7 que sont Apple, Alphabet, Amazon, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla. Or, analyser les marchés actions sans ces titres nous fait découvrir que la performance de l’indice S&P 500 équipondéré est quasiment nulle sur l’année.
Sur les marchés obligataires, les mouvements sur les taux ont cristallisé l’attention des investisseurs. La hausse des taux s’est essentiellement concentrée sur les longues échéances, portant les taux américain et allemand à 10 ans à des niveaux qu’ils n’avaient plus touché depuis la grande crise de 2007 et 2011 respectivement.
Analysées de plus près, il apparaît clairement que ces remontées de taux ne sont pas portées par des attentes d’inflation plus élevées, mais par des hausses de taux réels, à savoir par des attentes d’une politique monétaire plus restrictive à plus long terme. Cela témoigne de l’adhésion des marchés au mantra higher for longer que martèlent les banques centrales. En revanche, ce récit pourrait se retourner assez rapidement, dès que les marchés verront se profiler une récession. Pour cela, il faudra nous montrer particulièrement attentifs à l’évolution des chiffres de l’emploi et des perspectives sur le chômage. Or, force est de constater que l’emploi au sein des économies développées continue d’être plutôt résilient.
Ce n’est un secret pour personne : les taux qui grimpent sont sources de performances négatives pour les obligations, qui voient ainsi leurs prix diminuer. Pourtant, la douleur est bien moins aiguë qu’en 2022 : l’an dernier, les taux ont augmenté alors qu’ils se situaient à des niveaux extrêmement bas. Par conséquent, il n’existait pas de rendement naturel pour amortir la hausse des taux. Aujourd’hui, nous sommes en présence d’une fourchette de taux de 3% à 5%. Lorsque les taux d'intérêts sont élevés comme aujourd’hui, leurs variations auront un impact moins préjudiciable sur la valeur de ces obligations, compte tenu de l’effet d’amortissement résultant des niveaux de taux plus élevés, ce qui rend l'investissement bien plus attrayant du point de vue du rendement/risque.